Abstract
À la différence du sermon chrétien, le sermon juif n’est pas essentiel à la vie religieuse et le prédicateur n’a guère de statut. Il est pourtant une réalité sociale et littéraire de premier plan en Espagne. Que la philosophie ait place dans ce genre qui s’adresse à tous s’éclaire par trois choses : les textes que la liturgie amène à prendre pour occasions de la prédication ; la « reconfiguration rationaliste du judaïsme » par Maïmonide ; la résistance au prosélytisme. D’où des sujets spéculatifs (création, libre arbitre, justice absolue ou dans l’intérêt public, service par crainte ou par amour, etc.), des références aux auteurs philosophiques, juifs ou non, un lexique et un type d’argumentation. Les conversions nombreuses lors des persécutions de 1391 firent apparaître la nécessité d’une prédication adaptée aux besoins du peuple. Les perspectives ouvertes par l’ Éthique à Nicomaque traduite en hébreu vers 1400 et l’exemple de la prédication chrétienne donnèrent lieu au milieu du xv e s. au programme de Joseph Ibn Shem Tov regardant le rôle du prédicateur, qui exprimait l’emprise de la philosophie sur les penseurs juifs les plus soucieux de sauvegarder la foi. La spécificité du judaïsme se désignait comme un savoir, selon deux modèles : celui, non avoué, de la scolastique chrétienne, avec une théologie au-dessus de la philosophie, et celui d’un niveau inaccessible aux autres hommes. Mais ce savoir spécifique ne se laisse guère cerner. Après 1492, des réfugiés d’Espagne dans l’Empire Ottoman tendirent à l’identifier au corpus des homélies des rabbins anciens : Jacob Ibn Ḥabib en procura le recueil, Salomon ha-Lévi en fit la théorie. L’avantage définitif pris par la kabbale de Safed à la fin du xvi e s. a-t-il pour cause l’échec de cette recherche, ou bien en va-t-il autrement?