Jonathan Israel et Carl Schmitt. Contre-révolution théologique vs révolution philosophique
Abstract
Le travail mené par Jonathan Israel dans sa trilogie sur les Lumières aurait fourni des éléments pour une critique de la théologie comme fondement de la politique moderne et, de ce fait, il nous aurait offert une critique indirecte à l’œuvre de Carl Schmitt. Schmitt et Israel souscrivent à l’analyse des idées majeures que Spinoza hérite de la modernité. En revanche, ils ne s’entendent pas sur l’appréciation de cette contribution ni sur le sens qu’il faut donner à cet héritage. Tandis que Spinoza s’avère être l’ennemi par excellence pour Schmitt – juif, libéral et paradigmatique −, il représente pour Israel le pilier du républicanisme démocratique; alors que pour le premier le pêché originel implique l’acceptation d’une anthropologie modérément pessimiste qui fondait la nécessité de l’État, le second assure que le perfectionnement humain et l’idée de progrès sont possibles ; tandis que Schmitt justifie l’existence de la guerre et du concept de katechon en tant que piliers politiques, pour Israel la tolérance universelle d’origine baylienne se pose comme alternative ; si Schmitt considère que le dialogue et le débat constituent de simples distractions bourgeoises qui empêchent de distinguer la véritable nature de la souveraineté – la décision dans un état d’urgence –, Israel estime quant à lui que la dialogue rationnel et philosophique qui suppose la revendication de la liberté de philosopher est la seule forme acceptable pour concevoir des normes morales et politiques ; si le juriste allemand attribue à la théologie catholique l’origine de tout concept politique – au sens historique et systématique –, pour l’historien anglais c’est plutôt dans la philosophie rationnelle matérialiste énoncée par les acteurs des Lumières radicales qu’il faudrait chercher les fondements de la doctrine politique occidentale républicaine et démocratique.