Abstract
La Théorie de la justice est aujourd’hui considérée comme un renouveau majeur de la pensée politique contemporaine. Nous voudrions interroger la qualification de ce renouveau dans les termes d’un « tournant normatif ». La signification la plus générale de ce dernier est que la théorie rawlsienne constitue le point de départ d’une approche renouvelée de la philosophie politique désormais fondée sur le choix des règles les plus générales de la vie politique et sociale. Cette compréhension de la normativité présente trois aspects, les principes de justice étant dotés de trois propriétés remarquables : ces principes répondent tout d’abord aux exigences de ce que Rawls nomme le « droit moral » ( right ), ils sont ensuite justifiés dans le cadre d’une procédure de choix et ils sont, enfin, susceptibles d’être appliqués à des institutions sociales et économiques. En tant que théorie politique, la théorie de la justice comme équité peut ainsi se vanter d’être une théorie normative, parce que ses principes sont tout à la fois conformes au droit moral, justifiables et applicables. Pour tenter de préciser ce point, nous nous demandons tout d’abord ce que Rawls nous dit, dans son livre de 1971, de cette triple dimension de la normativité ; puis, nous nous demandons comment il parvient à articuler les deux dernières dimensions l’une à l’autre et le rôle qu’il fait alors jouer aux connaissances générales sur la société et la nature humaine ; enfin, nous cherchons à montrer, contrairement à une objection de G. A. Cohen que Rawls avait anticipée, que les connaissances impliquées dans la conception rawlsienne de la normativité ne contribuent pas à éloigner la Théorie de la justice de l’idée de justice.